Jeudi 5 juillet 2012
Nos écrits
Cet article est la suite d'une pièce dont le début est ici.
Les choses se compliquent, la fin approche ... bonne fin ou mauvaise fin ?
Scène 4
(Nuit entre jour 4 et
jour 5)
Scyllas, Uiscias
Dans une cellule, isolée, Uiscias est couché sur un lit de fortune,
visiblement mal en point.
Scyllas, restant dans la pénombre, apparaissant près d’Uiscias sans que ce
dernier s’en aperçoive : Eh bien, voici le conseiller bien mal en point.
Uiscias, surpris, et ne parvenant pas à situer
Scyllas : Quoi, qui êtes-vous ?
Uiscias :
Voyons, qui êtes-vous, où êtes-vous ? Montrez-vous ?
Scyllas : Je
suis ici pour soulager ton âme. Je vais écouter tes dernières confessions.
Uiscias :
Qu’est-ce que cette mascarade ?
Scyllas :
Cesse de bouger, tu t’épuises, tu n’es pas au mieux.
Uiscias : Où
est le gardien ? L’aide de camp de Damien ?
Scyllas :
C’était donc l’aide de camp de Damien…
Uiscias :
C’était ? Qu’avez-vous fait malheureux ? Appelez-le…
Scyllas : Il
n’entend pas. Il n’entend plus. Et personne n’entend ici. Il vous a choisi un
havre de paix inaccessible, et inconnu de tous. Voulait-il vous protéger ?
Ou vous permette un repos au calme le plus parfait ?... Il y est parvenu.
Le beau travail qu’il a fait. Ce silence… quel présent…
Uiscias :
Allons, que voulez-vous ?
Scyllas : Je
viens de te le dire. N’entends-tu pas ? Fais-le à présent. Confesse tous
tes péchés et délivre-toi avant de passer devant Dieu. Dis-moi…
Uiscias :
Quoi ? Qu’ai-je à vous dire ? Je ne passe pas devant Dieu. Si Damien
l’avait voulu vraiment, ce serait fait, il m’aurait étranglé définitivement.
Scyllas :
Mais, c’est ce qu’il croit avoir fait. Il se prend pour un maître, pour un
grand seigneur qui a le pouvoir de vie et de mort sur ses sujets. Il croit le
décider. Il croit le faire et en avoir la force. Même moi, je sais que c’est
faux. Même moi, qui ne suis pas chez moi, je sais mieux que lui ce qui se passe
sur ses propres terres. Quel comble, n’est-ce pas ? Même moi, je sais déjà
plus de choses sur Damien que lui-même. C’est un bien petit maître. Il est
faible, frivole et inconsistant. N’importe qui rentre dans sa demeure.
N’importe qui explore ses caves. Ses propres caves ! Ses caves dont il
ignore l’existence. Des caves si vastes, qu’on peut hurler à la mort sans que
quiconque vous entende du premier jour de l’année à la Noël…
Un temps.
Libère-toi de ce maître
inexistant. Il perd tout. Il t’a perdu, toi. Le seul a avoir de la valeur
autour de lui. Après Dame Morgane, à présent... Qui veut sauver les âmes
perdues définitivement. Elle est bonne et aide les malheureux. Sa bonté est
sans limite. Elle est sainte. Mais, elle ne le sauvera pas… Elle peut beaucoup
de choses par sa compassion, mais les âmes pécheresses, ont besoin de passer
devant l’Eternel. Lui seul peut les absoudre, les aider… Pauvre Dame Morgane
dont le père sait combien elle est perdue. Il sait qu’elle mourra des mains de
Damien. Son peuple le sait.
Que dis-tu de cela ?
Ivan sait que sa fille est morte et tout le peuple est bouleversé…
Uiscias :
Mais enfin, elle est bien vivante et protégée par Damien…
Scyllas :
Elle est morte, mais elle ne le sait pas encore. Ce pays contamine tout le
monde, même Morgane. La plus pure de toute. Votre pays corrompt les âmes les
plus innocentes. Damien n’aura pas le loisir d’user d’un immonde chantage pour
faire plier le noble père de Morgane. Elle n’est plus.
Uiscias :
Elle est, pauvre fou ! Elle vit, sous sa protection, sa garde, et sa
bienveillance !
Scyllas : Tu
es le seul à lui être fidèle encore alors qu’il t’a trahi quand tu cherchais à
l’aider. Es-tu aveugle ? S’il te trouve vivant, que pensera-t-il ?
Que fera-t-il ? Que penses-tu de ton avenir ?
Uiscias : Qui
êtes-vous ? Montrez-vous à la fin…
Scyllas : Je
suis peut-être ton sauveur… Ta dernière chance… Sauver ta vie et rallier un
vrai maître capable ce concilier les peuples en guerre, et cesser ces
absurdités inutiles. Ou sauver ton âme, en te confessant et en quittant ce
monde le cœur pur car libre de ses chaînes. Lavé des impuretés dues à la vanité
de tous ces mensonges. Vis, et aide-toi. Dieu te veut vivant pour accomplir ses
desseins. Ou mort, pour ressusciter dans un monde qui sera meilleur. Mais tu es
le seul à décider. Le libre arbitre… Toujours, Dieu dans son immense bonté,
nous laisse libre de nos choix. Dans l’erreur comme dans le bonheur.
Que choisis-tu ? Je
n’ai pas trop de temps, quelques tâches nécessaires m’appellent…
Uiscias :
Vous me connaissez donc ? Je ne peux rien pour vous…
Scyllas : Te
connaitrais-je mieux que toi-même ? Toi aussi, alors ?… C’est la mode
de ce pays : personne ne sait qui il est. Je n’ai plus le temps de te
révéler à toi-même : tu es Uiscias. Le conseiller, l’oracle de Damien, et tes
choix sont clairs. Tu me dis ce que je dois encore découvrir, s’il en reste. Et
je sais que je ne sais pas tout à fait tout… Ou bien tu meurs entre mes mains…
Mais te tuerais-je vraiment ? N’es-tu pas déjà mort ?
Uiscias :
Allons, toi qui sais tout, tu dois aussi savoir que jamais je ne trahirai ma
maison…
Scyllas : Ta
maison t’a déjà trahi. Elle t’a tué. Tu ne trahi pas en trahissant un traître.
Tu rétablis le juste et le vrai. N’est-ce pas la quête de ton état de
druide ? La justice et la vérité ?
Uiscias :
Tue-moi, et cesse tes discours de serpent…
Scyllas :
Bien que déjà mort, tu peux souffrir encore, le sais-tu ? Je vais te
montrer cela. Je suis si fier de t’apprendre quelque chose, toi le grand
Uiscias. Ces souffrances libèrent toujours les âmes du poids de leurs secrets
cachés. Toujours. C’est juste une question de temps…
Uiscias : En
aurais-tu soudain, de ce temps qui te manque ?
Scyllas :
Non, mais, certaines souffrances, moins pures, accélèrent les accouchements. Je
me purifierai dans ton sang ensuite, mais tu ne me laisses pas la possibilité
de pratiquer les rites sacrificiels longuement et patiemment. L’âme travaille
mieux et l’opérateur est ainsi sanctifié. Je prierai pour toi, pour mon âme
ensuite...
Uiscias :
Fais vite, alors, …
Scyllas l’empoigne mais Uiscias cachait un poignard dans sa couche.
Il l’empale, à la surprise de Scyllas. Hébété, il recule, le poignard dans le
ventre, le retire brutalement. Il regarde Uiscias, et se précipite vers lui de
nouveau, avec le poignard cette fois. Ils se battent. Uiscias est blessé, mais
Scyllas ne résiste plus.
Scène 5
(La nuit toujours, ou
le petit matin du jour 5)
Damien, Uiscias, des
gardes, le lieutenant
Damien est seul sur son trône, affalé négligemment, comme une
marionnette.
Uiscias arrive, titubant, s’accrochant à tout ce qui se trouve à sa
portée, couvert de son sang, de celui de Scyllas.
Damien, l’apercevant au bout de la salle du trône : Uiscias ! Est-ce
possible ? Toi, vivant ? T’ai-je fais cela ?
Uiscias :
Seigneur… mon seigneur, il n’est pas temps de comprendre ce qui se passe,
écoutez-moi, pour le peu que je peux encore vivre. Je dois vous aider encore si
je le puis…
Damien, le prenant sur lui en s’agenouillant, le
caressant : Oh que je te le dois, je suis fou, je suis aveugle, j’ai
été impuissant face à mon ignorance, à mes faiblesses, à mes vanités, comment
puis-je me faire pardonner, comment puis-je…
Uiscias, le coupant : Chhh… Ecoute mon
prince, tu peux encore beaucoup, mais cette fois tu n’as plus le choix. C’est
l’échec, ou la victoire, il n’y aura pas de demi-mesure. La mort de ton peuple,
toi en tête, ou la vie seul, sans l’âme que tu dois connaître comme étant ta
sœur…
Damien : Que
dis-tu, la douleur t’aveugle, tu délires, qu’ai-je fait ? Qui t’as sauvé
de moi et assassiné de nouveau si sauvagement ?
Uiscias : Peu
importe… C’est le message qu’il portait que tu dois savoir… Ivan fait dire à
son peuple que Morgane a été enlevée et est morte par ta main…
Damien :
C’était donc un piège ? Elle cherche donc ma perte ?
Uiscias : Il
monte son peuple contre toi et condamne sa propre fille pour te percer lorsque
tu t’y attends le moins. Il sacrifie sa fille, comprends-tu ! Elle n’y est
pour rien, elle ne voulait que la paix…
Entends-tu, comprends-tu
enfin ? Ou faut-il encore que ta faiblesse t’aveugle et t’empêche
d’arrêter cette folie ? Tu dois, tu peux, arrêter tout cela, mais,
réveille-toi, cesse tes petites vanités, cesse de t’apitoyer sur ton sort,
cesse de maudire les dieux, cesse de maudire ton père… Ta mère est morte sans
doute à l’heure qu’il est. Pauvre otage inutile… Sois à la hauteur de sa
grandeur. Elle a souffert en martyre sans rien livrer sans doute. Sinon,
pourquoi Ivan sacrifierait-il sa fille ? Pense à son sacrifice. Sois fier
d’elle, sois aussi fort…
Damien : Je
suis un misérable… De l’aide ! Qu’on appelle un médecin ! Allons, qui
me sert ? Aide de camp, au rapport !
Uiscias : Lui
aussi, fut bon, et secourable… Il m’a sauvé de tes griffes, m’a soigné et n’a
pu me protéger plus longuement… Son assassin est mort de ma main… Nos défenses cependant
sont percées de partout, nous sommes incapables d’interdire notre porte à
l’étranger. Nous sommes devenus si faibles. Tu ne sais pas te battre, cesse de
te croire un grand guerrier. Tu dois jouer ton rôle plus noblement. Un grand
sacrifice t’est demandé. Pas celui du guerrier, pas celui du vengeur !
Cesse cela ! Ce n’est ni ton destin, ni ton talent ! Tu te perds, tu
perds ton pays, ton peuple… Arrête d’essayer d’être ce que tu n’es pas… Le mal
en est trop grand… Sois, deviens, Damien… Et règne en maître de toi-même…
Damien : Que
dis-tu, tu délires… A moi ! De l’aide ! Garde ! Garde ! Je vous fouetterai chiens fainéants…
Uiscias :
Abandonne ces haines inutiles, arrête cela… Ils arrivent… Ils te servent, ne
les méprise pas… ils sont prêts à tout pour toi…
Les gardes, sous les ordres du lieutenant, arrivent finalement et
emportent Uiscias. Damien s’est relevé, puis tombe à genoux de nouveau. Morgane
entre.
Scène 6
Damien, Morgane
Morgane : Mon
seigneur ! Que se passe-t-il tout ce tumulte, tous ces bruits jusque dans
vos appartements ?
Un temps.
M’expliquerez-vous ?
Tout ce sang sur vous, votre prostration ?
Damien, relève la tête et la regarde : Pardonnez
ces manières.
Morgane : Ô
mon seigneur, de grands malheurs vous tourmentent. Puis-je vous venir en
aide ?
Damien :
Chère Morgane. Toi seule comprend ce qui se joue, et sait la bonne décision
semble-t-il. Tu es pourtant le jouet du hasard, de ton père aussi…
Morgane : Que
dites-vous mon seigneur, je me suis affranchie de son pouvoir, je l’ai même
trahi. Un jouet ne se peut libérer. Je suis sans entrave. Et je suis près de
vous de mon plein gré. Contre ses souhaits. Contre les souhaits du destin. Et
vous m’avez accueillie. Bienveillant. Confiant. Vous m’avez reconnue.
Damien : Je
suis ta perte car incapable de te protéger. Je suis un imbécile, jouet moi
aussi des volontés du destin capricieux.
Morgane : Je
suis là ! Je suis votre atout, votre carte maîtresse. Que craignez-vous
tant que je serai à vos côtés ?
Damien : De
vous perdre tout simplement. La folie a des voies inattendues.
Morgane : Me
direz-vous enfin ce qui se passe ?
Damien : Je
suis fou. Faible et fou. Je suis si faible. Plus je me bats plus je m’affaiblis.
Morgane :
Cessez de combattre.
Damien : Un
roi abandonne-t-il la bataille ? Comment peut-il sauver son peuple
alors ? Comment peut-il être légitime à ses yeux ?
Morgane : En
offrant la paix. En accueillant les cadeaux. En étant un humble serviteur quand
il le faut. Un guerrier quand c’est nécessaire. Mais ce temps est révolu. Et
vous n’y ferez rien. Cette guerre n’est pas la vôtre. N’est plus d’actualité…
Damien : Un
roi est fort !
Morgane :
Quand il le faut. Quand il le faut seulement. Il sait parlementer quand c’est
nécessaire.
Damien :
Est-ce donc le moment pour cela ?
Morgane :
Oui.
Damien : Mais
ton père veut faire cette guerre, la veut gagner, et renverse tout sur son
chemin ! Même toi…
Morgane : Je
ne suis pas reine, il ne peut rien renverser. Je suis l’infante, l’héritière.
Cela le contraint.
Damien :
Sauf…
Morgane :
Sauf ?
Damien :
Sauf, s’il te sait morte…
Morgane :
Sauf que je ne le suis pas…
Damien : Sauf
qu’il le veut…
Morgane : Que
dites-vous ?
Damien : Ton
peuple te sait morte.
Morgane : Qui
vous dit cela ? Mensonges, faciles à contredire…
Damien : Oui
mais la guerre, dans sa précipitation, ne laisse pas le temps aux bonnes
nouvelles de faire leur œuvre, et donne aux rumeurs à peines nées l’allure de
vérités. La place pour le doute n’existe pas. Aux yeux de ton peuple tu es
morte par ma main. Plus rien ne retient la guerre de se terminer dans l’ultime
bataille victorieuse pour Ivan. Vos troupes sont déchainées. Le temps pour
votre armée de marcher sur nous, et nous serons dans la tourmente.
Morgane :
Est-ce bien vrai tout cela ?
Damien : Je
le tiens d’un mourant, Uiscias, qui, trahi par ma main, m’est pourtant resté
fidèle. Sans doute un espion de ton père a-t-il été surpris par lui dans son
complot… jusque dans mes murs…
Morgane : Mon
père m’a condamnée ?
Damien : Oui.
Morgane :
Scyllas sans doute m’a suivie pour m’espionner, m’arracher à vous, ou tirer des
informations de la situation chez l’ennemi… Qu’est-il devenu ?
Damien : Mort
de la main d’Uiscias.
Morgane :
Allons, mon seigneur. Pourquoi croyez-vous que mon père m’a condamnée ? Il
veut retourner une situation où son avantage n’est pas au meilleur.
N’étiez-vous pas dans une position stratégique plutôt favorable avant ma
venue ?
Damien : Ma
mère, otage, retenait ma main…
Morgane :
…Car vous étiez dans une position propice à une belle bataille ?
Damien : Je
le crois. A moins qu’un coup fourré que
j’ignore encore me réservât quelque surprise que je n’ai pas su voir sur le
moment…
Morgane : Il
est donc certain que mon père n’était pas en position favorable. Mon sacrifice
le prouve… Et il prouve autre chose : il a su, grâce à Scyllas sans doute,
et malgré ma discrétion, que j’allais vous trahir. Votre mère n’aurait rien dit,
je le sais… Sans doute une tromperie aura eu raison de mon travail… Ce qu’il
ignorait devient donc un avantage pour lui s’il me sacrifie. Il me laisse vous
rejoindre malgré sa connaissance des faits… Mais, écoutez-moi seigneur, il
compte sur votre double surprise : ma venue, puis ma condamnation par lui.
Il compte sur le fait que vous ne saurez pas, ou n’aurez pas le temps de réagir
à ce double enchaînement. Il voulait vous frapper dès les premiers moments de
ma venue. Scyllas, en échouant, nous dévoile son plan. Il voulait vous laisser
croire à ce cadeau qu’est ma trahison, et préparer sa contre-attaque en
galvanisant ses troupes par ma mort. En vous surprenant au moment où vous
espérez une trêve grâce à ma valeur d’otage, il frappe. Me condamnant, l’otage
ne vaut plus rien et mon père est libre de vous livrer sa contre-attaque. Mais,
la rumeur de ma mort n’a pas plus d’une journée, et ne devait pas être connue
de vous…
Damien : Tu
vois si clair lorsque je sombre. Mes pensées s’embrument. Je suis une
marionnette.
Morgane :
Donc, vos seuls choix sont les suivants mon seigneur…
Damien :
Attaquer dès demain…
Morgane : … ou
me laisser revenir chez moi, dans quelques jours au plus tard, aux yeux de mon
peuple et en plein jour, pour anéantir
cette rumeur pendant que vous assiégez mon père… et le forcez à négocier… et
que je le surprends par mon retour…
Damien : Mais
je vous perds ma dame. Il vous tuera lui-même.
Morgane : En
êtes-vous bien certain ?
Damien :
Uiscias a eu raison jusqu’alors. Je n’ai pas su l’écouter ; je n’ai pas
voulu voir ses justes conclusions. Aujourd’hui encore, alors qu’il meurt, et
parmi des paroles que je n’ai pas toutes comprises, il a su prédire ce qui se
déroule à l’instant même, ainsi que la conclusion que tu viens de faire…
Morgane :
Tout vous invite à cette issue.
Damien : Je
dois m’y résoudre semble-t-il. Je ne suis pas seul en cause. Mon peuple, mon
pays.
Un temps.
Restez ma dame, un jour
encore, deux peut-être. Je ne suis plus aussi aveugle qu’à votre arrivée j’ai
pu l’être, ne soyez pas inquiète. Je ne suis plus tout à fait fou. Vous me
feriez le plaisir de votre heureuse compagnie. Nous laisserions votre père
croire à sa ruse et le surprendrions, au bon moment, à notre tour. Enfin, ma
mère est morte, cela est certain maintenant. Mon deuil se trouverait accompagné
de votre bienveillante présence. Vos conseils, en tout, semblent donner un
éclairage salutaire à votre entourage.
Morgane : Eh
bien, je veux vous tenir compagnie.
ACTE III
(Jour 6)
Scène 1
Ivan, seul
Scyllas, mon bon Scyllas…
Ta mission difficile te retarde… La journée s’avance, et je t’attends. Toi,
toujours fidèle et prompt dans l’accomplissement de tes devoirs... Devrais-je
aboutir celle-ci moi-même ? Prends le temps qui te manque, mais ne mets
pas trop de zèle dans cette tâche. Le message doit partir, et il partira… La
putréfaction n’attend pas… Son corps réclame la terre et le retour chez elle.
Un temps
Ce soir, Scyllas, jusqu’à
ce soir encore, ensuite je te considérerais perdu aux mains de l’ennemi, ou
traître à ton maître. La journée se termine bientôt, hâte-toi, ne me fais pas
commettre l’irréparable et te renier, et, te tuer.
Un temps
Que fais-tu donc ? Reviens-moi
vite !
Scène 2
Damien, Morgane, le
lieutenant
Dans un jardin, une promenade qui mène à la tombe du père de Damien.
Ils marchent. Le lieutenant les suit au loin.
Damien : Ma
dame, votre présence apaise mes tourments.
Morgane : Et
ils sont nombreux, je crois.
Damien : En
effet…
Morgane : Mon
seigneur, dès que je vous ai vu, j’ai su que j’avais accompli ce que le destin
voulait de moi. Et, aujourd’hui, avant que les évènements se dénouent, avant
qu’un monde meilleur voie le jour grâce à vous, si je puis vous être d’un
quelconque secours, mon âme n’en est que plus satisfaite.
Damien :
C’est grâce à vous que ce monde sera meilleur. Sans votre amour pour lui, mon
aveuglement aurait été définitif, et, mes choix fatals et bien amers pour tous.
Sans votre présence…
Morgane :
Votre jeunesse ne méritait pas, sitôt, tous ces tourments auxquels nul,
d’ordinaire n’est préparé, mais, encore moins un enfant dont la jeunesse se
termine à peine et dont les principes de son éducation sont si frais et encore
abstraits. Comment vivre une vie de roi avant l’heure ? Dieu vous soutient
mon seigneur, et il sait qu’il charge vos épaules d’un fardeau si lourd, que
vous ne méritiez pas. Mais il sait aussi, dans sa grande sagesse, ce qu’il
fait. Le monde est ainsi parfait. Cela peut choquer, révolter. Chacun pourtant
reçoit une mission qu’il peut accomplir. Soyez-en assuré. Dieu semble vous
accabler d’une impossible tâche, elle est divine en fait. Il vous oblige ainsi
à écouter votre seule ressource, votre cœur, à vous faire confiance, et
accepter tout cela. Votre expérience n’existe pas, mais votre politique nouvelle
n’en sera que meilleure. Une situation inédite nécessite des choix inédits.
Faites-vous confiance, mais pour cela écoutez votre cœur, je vous en conjure,
car tout y est et vous sera, par cette voie, accordé. Ne comptez ni sur votre
entourage, ni sur vos conseillers.
Damien : Je
les ai, dans ma folie, évincés, me croyant seul suffisant. Ils sont remplacés
aujourd’hui par l’écoute de vos conseils. Ainsi, ne faites-vous pas partie
maintenant de mon entourage ? Mon seul conseiller. Ne devrais-je donc pas
aussi me méfier de vous lorsque vous guidez mon cœur ?
Morgane :
Ecoutez votre cœur mon seigneur, et vous saurez.
Damien, riant : Quel aplomb et quelle
répartie facile. Tu dois manquer cruellement à ton père !
Morgane, sombre : Je ne crois pas.
Damien : En
effet, pardonnez-moi. J’avais, un moment, oublié vos propres tourments, tant votre
charmante présence me redonne espoir, et
le goût de vivre.
Morgane, se tournant : Eh bien, J’en suis ravie
mon seigneur…
Damien : Et
puis, vous le dites vous-même, ma jeunesse encore me domine. Je suis au centre
du monde plus que je ne le voudrais. Mes malheurs ne devraient pas me faire
oublier mes devoirs, ma réserve.
Morgane : Ne
vous excusez pas.
Damien, lui prenant les mains : Si, il le
faut. Car le seul évènement digne d’intérêt pour cette nation vient de
s’assombrir par ma faute et mes vilaines manies égoïstes. Mes caprices. Pardonnez-moi.
Morgane, au bord des larmes à l’idée de son
père qui l’a trahie : C’est déjà fait mon seigneur.
Damien : Marchons
encore un peu, voulez-vous ?
Morgane :
Bien sûr…
Ils arrivent devant la tombe. Quelques gens du peuple s’y affairent
pour la fleurir.
Ça y est, j'ai fini de relire le début, et ai enfin découvert ce morceau-ci... Bon, je crois que vous faire part de mon enthousiasme une nouvelle fois est inutile...
RépondreSupprimerCe que je peux reprocher à votre pièce, particulièrement dans ce début de l'acte III, c'est que Morgane se cantonne au rôle de jouet. Le protagoniste est encore une fois un rôle masculin. Tous les rôles intéressants sont des rôles masculins... Ici, Morgane a du courage, elle est forte, elle est un peu comme Antigone mais elle reste un jouet, donc pas forcément très intéressante à jouer...
Pour tout vous dire, c'est une pièce que j'adorerais monter un jour, au même titre que Lorenzaccio par exemple ! J'ai plein d'idées de mise en scène, et j'adore le personnage de Damien ! J'ai pour habitude de mesurer mon enthousiasme pour une pièce en fonction du nombre de répliques que j'ai apprises sans m'en rendre compte, au fil de ma lecture... Et là je connais déjà une grande partie de la pièce, particulièrement la scène entre Uiscias et Scyllas, que je trouve particulièrement puissante !
Excusez du retard pour ma réponse, nous revenons de huit jours de vacances en Avignon.
SupprimerVos remarques sont très intéressantes. Comme je n'ai pas beaucoup de recul, j'apprécie les commentaires. Afin de bien vous comprendre, quand vous parlez de rôle de jouet pour Morgane, est-ce uniquement par rapport au début de l'acte III, ou de façon générale ?
Car, Morgane déclenche beaucoup de choses : elle trahit son père, rien que ça, et, alors qu'elle se sait maintenant sacrifiée, elle choisit de retourner vers son père pour renverser, encore une fois la situation. Bref, elle est prête à tous les sacrifices pour parvenir à ses fins. Qui sont, selon elle, celles du destin, elle ne les choisirait pas. Mais, être le jouet du destin, est-ce vraiment être un jouet ? Et puis, c'est sa perception des choses, elle est un peu mystique. Cela n'engage qu'elle. Bref, j'accepte les critiques, ne vous en faites pas, mais Morgane est le moteur des bouleversements importants de la pièce, donc, je ne comprends pas ce qui vous fait la trouver si "passive".
Je reconnais bien volontiers qu'il y a beaucoup de rôles masculins. Par contre, celui de Morgane, je l'ai voulu très fort. Peut-être n'y suis-je donc pas parvenu.
N'hésitez pas à m'éclairer encore. Je publie la suite bientôt, la fin de l'acte III.
En tout cas, je suis très touché que la pièce vous plaise. Jusqu'ici, car ce n'est pas fini...
Je ne trouve pas Morgane passive, au contraire ! Elle est forte, courageuse, et tant mieux ! Mais elle trahit son père, certes, sauf qu'au fond ça n'aura servi à rien, puisque son père se sert d'elle... Enfin il faut voir comment la pièce évolue, évidemment (d'ailleurs j'ai très hâte de lire la suite...).
RépondreSupprimerEt après tout, peut-être est-ce simplement une idée que je me fais... Il faut dire que je suis toujours très exigeante avec les rôles féminins, comme une forme de vengeance après les siècles durant lesquels on nous a interdit de monter sur scène... Je sais, je suis comme ça, je suis très sensible aux faits du passés... Mais regardez les pièces du XVIIe : dans les comédies, les femmes sont ou des jeunes premières sans cervelle ou des soubrettes, et dans la tragédie il n'y a guère qu'Andromaque qui ne soit pas exaspérante de lamentations...
Il est vrai que les lamentations ont cantonné les femmes dans des rôles pénibles, quand elles pouvaient jouer ces rôles... Pour le coup, il me semble que c'est Damien qui se lamente beaucoup, il est comme un adolescent agaçant, en fait il est un adolescent agaçant. Et, c'est Morgane qui supporte ses lamentations. De là à dire que j'ai vengé les femmes de leurs misères passées, je n'oserais pas ;-)
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