Samedi 13 octobre 2012
Nos lectures
Je serai comédien !
Qu’ont en commun les grands
comédiens français d’aujourd’hui et d’hier ? Beaucoup d’entre eux, une très
grande partie, sont passés au Cours Simon. Je voulais en citer, mais il y en a
tellement et de tellement connus, que c’en est inutile et vain. C’est un peu l’ « Actor
Studio » français. A une différence près : la méthode Stanislavski n’y
est pas un dogme comme aux États-Unis…
« Ce que je ne
peux mettre sur le papier, c’est le plaisir que l’on prend à travailler, le
plaisir de l’élaboration souvent plus grand que celui de la réalisation, le
plaisir d’initier et d’être initié. Quel bonheur pour l’élève et le professeur
de voir se faufiler les progrès jour après jour, d’être un vrai couple à l’écoute
l’un de l’autre, d’aller d’étonnement en étonnement, d’aimer passionnément
cette fabrication artisanale si ingrate au départ et si fructueuse à l’arrivée !
Le plaisir, oui, je dirais même la jubilation, voilà ce que je ne peux mettre
dans ces pages et qu’il faut venir vivre
dans un cours. »
Cette citation, choisie dans l’avant-propos
du livre de Rosine Margat, est tout à fait paradoxale. Et ce, parce que son
livre est passionnant, donc réussi. En effet, ce qu’elle dit, et croit
sincèrement ne pouvoir y mettre, y est pourtant. La passion, la jubilation dont
elle parle, transpirent de toutes les pages. Pour ma part, ce qui m’a le plus touché,
c’est son honnêteté intellectuelle : elle répond le plus sincèrement aux
questions que se posent les apprentis comédiens et qui servent à construire ce
livre. Sans détour, sans langue de bois bien pensante. Sans illusion non plus.
Elle sait cependant rester ouverte, à la vie,
à la nouveauté, aux jeunes comédiens. Malgré ses soixante années de bons et
loyaux services de pédagogue dans les Cours Simon (elle était, lors de la
sortie du livre en 2006, la directrice du cours Simon. Elle décède en 2010),
elle demeurera investie de sa mission jusqu’au bout. Plus que jamais lorsqu’elle
écrit.
Laisser une trace,
peut-être, mais surtout, partager cette si grande expérience. Quelle bonne idée !
Ce livre n’est pas un cours, même
s’il pourrait servir à cela. Elle répond donc à une soixantaine de questions,
problèmes, réflexions, qui lui ont été le plus posés au cours de sa vie d’enseignante.
Bref, les problèmes existentiels de tous les apprentis comédiens en formation.
Ses réponses vont de quelques lignes, à plusieurs pages. Il n’y a donc pas une chronologie
particulière à suivre. On peut lire linéairement. On peut aussi sauter des pages
pour aller à la fin, revenir, choisir les questions auxquelles on aimerait des
réponses plus que d’autres, ça ne pose pas de souci.
L’ordre n’est cependant pas tout
à fait hasardeux. Il part des débuts, des questions les plus « naïves »
du débutant, en passant par les différents stades du travail du comédien et
donc des problèmes qui se posent à lui au fur et à mesure de ses progrès. Les
peurs, la technique, la voix, le trac, l’écoute, la vie professionnelle, tout y
passe. Pour finir, elle nous parle plus de l’écriture, et d’elle. Les
anecdotes, les exemples fusent tout au long des réponses. René Simon lui-même
est convoqué. Quatre-vingts ans de cours, ça fait quelques souvenirs
croustillants, pathétiques, drôles, légers. Il y en a pour tous les goûts, toutes
les humeurs. Un vrai régal. J’ai adoré navigué dans ce livre que j’ai dévoré.
Que le théâtre vous attire ou non, que vous souhaitiez devenir comédien ou non,
on s’en fiche. Vraiment. C’est ici de l’humain dont Rosine Margat nous parle.
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager quelques réponses :
Qu’est-ce que
le don ?
C’est un ensemble de
qualités innées nécessaires au comédien. La plus essentielle est la sympathie
au sens théâtral, c’est-à-dire la faculté de s’émouvoir de ce qu’on imagine,
assortie de la possibilité d’exprimer et de communiquer cette émotion […]
Vous pouvez
donc me dire si je suis doué ?
Oui, si ces deux qualités
sont déjà nettement apparentes chez vous. […]
Mais si, après un an
avec un bon professeur, ce don n’apparaît vraiment pas, il vaut mieux renoncer.
[…]
A quoi reconnaît-on
un bon professeur ?
Le bon professeur est
un accoucheur, un éveilleur ou un
révélateur. […] Il vous suivra jusqu’où vous voudrez bien aller, et aussi jusqu’à
ce que vous soyez capable de vous passer de lui. Le rôle du professeur est de
tracer une ligne, de planter quelques poteaux indicateurs, d’éclairer le
chemin, de signaler les virages dangereux, les routes sans issues. S’il sait
tout cela, vous pouvez avoir confiance en lui. Sans cette confiance, il ne peut
rien faire pour vous. L’enseignement est un acte d’amour, c’est un échange,
sans lequel rien ne peut se construire. Comme un amoureux, le professeur s’oublie
et, surtout, il vous parle de vous. […]
Quelle est
votre méthode ?
Je n’en ai pas ou,
plutôt, j’en ai une par élève, car je fais du sur-mesure et non de la
confection. […]
Que
pensez-vous de l’improvisation ?
Le plus grand mal !
Il faut la laisser aux associations socioculturelles, où elle a peut-être un
rôle à jouer. Le jeu du comédien est une improvisation permanente, mais
contenue et dirigée. Les comédiens doués sont rarement les meilleurs dans l’improvisation,
car ce sont les contraintes du texte qui libèrent leur créativité. […]
Si ces quelques phrases ne vous
font aucun effet, c’est clair, vous n’êtes pas comédien ! Et, si vous
cherchiez à le devenir, achetez donc le livre, il vous éclairera peut-être sur
cette bonne, ou mauvaise, idée que vous avez eue...
Pour finir, en
beauté, une perle d’élève et un hommage (et quel hommage) :
La perle d’un élève : « En somme, au Cours Simon,
vous ne faites que du théâtre ? »
« Monsieur Simon, nous tenons à vous
remercier de tout notre cœur pour ce que vous faites pour nous en cette période
tragique. Il est merveilleux de penser que, parmi cette affreuse tourmente, il
y ait un endroit à Paris où l’on puisse oublier pour quelques heures cette rage
qui détruit les hommes. Vous avez raison de dire que c’est la poésie qui
sauvera le monde. Vous êtes notre bouée de sauvetage. Demain, nous continuerons
à travailler au son des canons et des sirènes. Par votre magie, les bruits de
la lutte gigantesque viendront se briser aux portes de l’élévation de l’homme
par l’esprit. Vos élèves reconnaissants.»
L’esprit de Simon
souffle encore sur Rosine Margat, et tourne les pages de ce petit bijou à votre
place. Alors, qu’attendez-vous pour vous ruer chez votre libraire préféré ?
Richard
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